Puisqu’il s’agit de détails, commençons par le premier.

Une chemise héritage, portée par ma mère lorsque je n’étais pas encore du monde, et qui, aujourd’hui dévoile ici un peu le mien. Une cotonnade trentenaire et immuable, matinée des années qui n’ont élimé que si peu la trame dans sa densité. Une étiquette, seul détail ou presque à porter la marque du temps. Âge que l’on ne devine qu’en y regardant de plus près, au creux d’un col qui, s’il s’affaisse nonchalamment, n’a rien perdu de sa substance, n’a rien perdu de sa dégaine. 

A rebours des fausses étoffes d’aujourd’hui qui, ne passant pas l’épreuve du second lavage sans devenir guenille, n’ont de facto pas le temps de connaître l’usure de la péninsule rectangulaire portant leur griffe. C’est désormais l’étiquette de nylon qui survit à ce dont elle n’est censée être qu’un détail, mais qui dans son mode de consommation actuel n’en est, lui-même, plus qu’un : le vêtement. 

Quel triste paradoxe, et triste encore davantage si l’on songe à ces filles qui dans vingt ans n’aurons pas, la faute aux toilettes fast fashion dont leur mère s’affuble aujourd’hui pour assister aux mariages, la richesse d’un tel héritage à porter ou d’une belle histoire à raconter. 

Les exemples sont nombreux, et j’aurais de la même manière pu évoquer les manteaux de ma mère, sa robe droite blanche, ses jeans et ses pompes, les chemises (je pense à la bleue ciel, et la vichy marine) et les tee shirts trop grands de mon père, les sweats volés à mes frères pour réchauffer les fins de soirées, les vêtements hérités de ma grande soeur (ils faisaient toujours ma fierté),  l’armoire commune plus ou moins anarchique partagée avec mon amie de toujours… 

Et avec tout cela, le chemisier froissé de ma grand-mère maternelle et le foulard tigré de ma grand-mère paternelle, le pull Lacoste de mon grand-père maternel et les marcels éminence de mon grand-père paternel. Et aussi, la texture qui fait que l’on reconnaît dans le noir le tee-shirt de celui que l’on aime : objectivement le meilleur pyjama. 

Il y a tout cela : mon inconscient émotionnel et esthétique lié aux vêtements et à ceux qui les ont portés, avant ou avec moi. Ces femmes et ces hommes, et toutes les projections stylistiques qu’ils m’évoquent. Et puis, la question non dissimulée du sexe d’un vêtement, qu’il ne s’agit pas de nier, ou de flouter, mais de télescoper subtilement pour réinterpréter les gimmicks caractéristiques du genre et en extraire la dégaine.

 

 

C’est pour cela que j’ai imaginé, rêvé disons, une ligne héritage segmentée d’androgynalité, avec une majorité de modèles unisexes. Ces vêtements sont à désirer, à posséder, à apprivoiser, à vivre et à aimer, et puis surtout, à garder, à détourner, à transmettre, à prêter, à donner, à se faire gentiment chiper, ils sont vivants, et je vous souhaite de l’être avec eux. 

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