Je ne me suis jamais vraiment dit que je voulais “travailler dans la mode”. Ou peut-être, au travers de mille détours, eux-mêmes digressés dans des errements de mon esprit. Je ne me le suis jamais dit, peut-être parce qu’il y a cette loi étrange qui rend parfois l’évidence invisible pour les yeux. 

Ce n’est qu’un moment. Pour peu qu’à un moment… 

Le fait est que j’ai toujours baigné dans des volutes de sapes et des embruns de style. 

Le fait est que ma maman, toute anonyme qu’elle soit, est une icône. Celle de la nonchalance panachée de dégaine, de la justesse du tombé et de l’harmonie chromatique, de l’ingéniosité innée dans la maîtrise de “l’arithmétique”, que 25 ans plus tard, je crois être en jeu dans le style. 

Une sacrée nana, ma mère, et puis elle en habillait du monde… Et je crois que c’est en la regardant faire, que j’ai appris à faire, puis à savoir faire. 

Si l’attraction pour ce que l’on appelle les “belles choses”, remonte chez moi de si loin qu’elle pourrait bien être encodée dans mon ADN, c’est au contact, quotidien et exceptionnel, de cette mère qui de toujours avait la classe, sans trop qu’on sache pourquoi, que j’ai comme on dirait au théâtre “toucher l’instant de grâce”, à savoir reconnue la justesse dans ce qu’elle a de plus pure et instantanée. 

Ce geste, comme un mouvement sublime remémoré dans son ancrage, c’est ce, que d’aussi loin que je me souvienne, je fantasme, sans jusqu’ici avoir su le nommer, de pouvoir mettre en œuvre à l’endroit de la création. 

Dessiner, comme on imagine en fermant les yeux, et offrir cette apparition d’entre deux battements de cils à l’éternité. C’est ici mon papa que je cite avec mes mots, les siens ayant guidé mes mains dans la préhension première d’un crayon, d’un pinceau ou d’un fusain. Je rends ici honneur à celui qui a pris très fort ma main, comme pour me transmettre le génie de la sienne, et m’offrir la perspective décisive de l’accession de la contemplation à la création.  

Pour le citer vraiment, et parce que cette phrase est fondatrice dans mon appréhension de l’esthétique, j’aimerais redire la vérité de l’expression “le mieux est l’ennemi du bien”, dont la réminiscence de sa compréhension remonte chez moi au CM1. L’histoire d’un tigre peint sur une feuille canson, dont les couches de peinture dans leur superposition exagérée (je n’étais pas satisfaite des rayures, je savais que j’aurais dû faire un lion…) menaçaient la structure du papier (que j’allais traverser sous un déluge de matière). Je dis aujourd’hui merci à celui dont d’aucuns (et beaucoup) auraient alors jugé qu’il n’était qu’un sale con de juger le dessin d’une gamine, et qu’en la matière le banal “c’est bien ma chérie” eut été davantage d’usage…

Sous couvert de vêtements, s’agglomèrent et s’enchevêtrent les souvenirs que j’ai d’eux, et de ceux qui les ont portés dans un absolu auquel je rends hommage. C’est ce que j’ai voulu sincèrement et simplement retranscrire, pour faire de mes pièces autant de madeleines futures, à tremper dans du café au lait. 

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